Un vrai (prin)temps de pandémie…
Peu à peu les les bruits humains diminuent. Les sons qui restent sont comme amplifiés. Nos voisines les poules arrivent à couvrir le chuintement des rares trains circulant dans la plaine du Rhône, les rares et téméraires avions de tourisme, les quelques voitures du reliquat d’accros qui inalpent vers leur chalet de montagne.
A chaque heure du jour son espèce chantante ou tambourinante : les rouge queues dès l’aube, les pics ensuite au burin pneumatique, puis, à l’heure de l’apéro, les milans à grands coups d’ailes circulaires, au-dessus d’une équipe obéissante de cinq chardonnerets échangeant des mots d’oiseaux affamés.
Puis tout s’estompe, dans le soleil montant.
Début avril. Nos jours s’écoulent, sidérés. Entre la lecture et l’écoute de nouvelles apocalyptiques traitant de décimages lointains ou si proches et le repli salutaire de la maison, puis de la chambre, où je me sens par moments comme un origami comprimé. Nos pas réduits, nos voitures arrêtées (et enfin totalement « propres » ), s’ouvre à nous l’immense domaine des toutes petites choses du jardin !
Des dizaines de trous de grillons au sol annoncent un été chantant. La danse des osmies solitaires, pompons roux en quête de trous dans le vieux bois pour y pondre, rassure sur la santé des pollinisateurs. Et les mini-forêts des muscari en fleur, et la rhubarbe qui déploie une à une ses feuilles hier encore pelotonnées, quelle belle promesse de tarte !
Et puis, les graines.
Dans l’ombre du sous-sol encore, ou à peines émergées de leur pot. Cotylédon d’un céleri ou feuilles crénelée d’un chou, tour à tour étirant une tige vers le vitrage ensoleillé ou tricotant discrètement son germe dans la terre, comme le pois ou la pomme de terre.
Nos graines semées occupent le silence de nos jours et parlent de la Vie qui viendra après le virus… Un bouquet de pavots délicats – tiens, j’en ai semé des rouges vifs ce matin – un tajine de fèves, des patates en robe des champs, un radis croquant tiré du sol, des capucines dans le saladier.
Pendant que les humains sont entièrement absorbés à suvivre ou aider d’autres à vivre, à chercher des masques ou du sens, à se protéger de l’autre et de l’air environnant, les plantes montent vers la lumière comme pour y puiser une grande inspiration. Un déploiement souterrain, silencieux et inarrêtable dans sa détermination. Peut être aussi puissant que le déploiement du dessus, pour sauver des vies.
Un travail de temps, de patience, d’eau et de lumière, qui demande juste un peu d’attention de notre part, et de l’humilité. Plantes qui poussent dans le silence, silence rythmé par les oiseaux et bientôt les grillons… Saurons nous , dans quelques mois, une fois nos semis devenus plantes solides, nous souvenir du chant du rouge queue qui ouvrait cette journée d’avril ?
Ce soir, la chouette hulotte accompagne une presque pleine lune.